
La corruption est aujourd’hui largement reconnue comme un « mal collectif ».
Elle désigne généralement des pratiques déviantes, voire transgressives, ayant pour but d’obtenir des avantages pécuniaires, politiques, personnels ou autres en abusant de sa position. Depuis la fin du XXe siècle, le terme fait en effet référence à une catégorie construite à laquelle correspond un certain nombre de pratiques sociales constituant un « abus de charge publique en vue d’obtenir un avantage privé » (Banque Mondiale) ou un « abus des responsabilités conférées à des fins privées ». (Transparency International).1
C’est en effet, l’émergence de l’individualisme et le développement de l’économie de marché qui ont contribué à détacher la corruption de la seule moralité pour la définir comme un problème public. En Côte d’Ivoire, la corruption est devenue un véritable phénomène de société qui gangrène l’administration ivoirienne.
La Côte d’Ivoire s’est engagée dans une politique d’amélioration de son indice de perception de la corruption (Ipc) après avoir perdu en 2019 environ 1400 milliards de FCFA du fait du phénomène, ce qui représentait 4% de son produit intérieur brut (PIB) et 64 % du service de sa dette. Selon le rapport de 2021 de Transparency International publié le 25 janvier 2022, la Côte d’Ivoire (classée 104e sur 180 en matière de lutte contre la corruption selon le rapport 2020, une belle progression depuis 2011) fait partie des pays qui ont vu leur score dans l’IPC progresser considérablement au cours des 10 dernières années.2
Elle ambitionne d’atteindre le score de 50/100 à l’horizon 2025 en renforçant son arsenal juridique. Si l’on observe une nette amélioration de l’indice ivoirien, les populations demeurent incrédules et jugent même que le phénomène s’intensifie.
Si tel est le cas, il est légitime de se poser la question de savoir si le cadre juridique de lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire est efficace.
Le but de cette réflexion est d’attirer l’attention de l’Etat sur sa politique de lutte contre la corruption en vue de l’améliorer. Aussi nous n’aborderons que dans sa généralité les différents aspects de la corruption dans cette analyse non exhaustive.
L’analyse de l’efficacité du dispositif juridique de lutte contre la corruption nécessite qu’on identifie au préalable les réformes juridiques clés de lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire (I), qu’on juge ensuite de leur efficacité (II).
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Un cadre juridique renforcé contre la corruption en Côte d’Ivoire
Dans le but d’enrayer la situation actuelle de corruption, l’Etat de Côte d’Ivoire a décidé de réaménager son arsenal juridique en adoptant de nouvelles lois. Avant celles-ci, le seul cadre juridique après l’indépendance demeurait le code pénal ivoirien qui présentait la corruption et les infractions assimilées3. La nouvelle politique de lutte contre le phénomène a abouti de facto à l’adoption de nouveaux textes aussi bien communautaires, internationaux (A) que nationaux (B), lesquels textes ont permis de créer certaines institutions incontournables dans la lutte contre la corruption.
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- Sur le plan communautaire et international
La Côte d’Ivoire a ratifié le 14 février 2012, la convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée le 11 juillet 2003 à Maputo (Mozambique) et le 25 octobre 2012 a suivi la convention des Nations Unies contre la corruption, signée le 09 décembre 2003 par 114 pays à Merida au Mexique.4
Le contenu de ces conventions s’articule autour des mesures et moyens déployés pour freiner le phénomène dans les Etats parties.
L’article 4 de la convention de l’UA sur la prévention et la lutte contre la corruption énumère les objectifs de ladite convention.
Il s’agit de « promouvoir et renforcer la mise en place en Afrique, par chacun des Etats parties, des mécanismes nécessaires pour prévenir, détecter, réprimer et éradiquer la corruption et les infractions assimilées dans les secteurs publics et privés 5».
Dans la même veine d’idée, la convention des Nations Unies vient renforcer De jure, l’environnement juridique ivoirien.
La mise en œuvre de ces engagements au plan national a conduit à un renforcement du cadre juridique à travers l’adoption de nouvelles lois internes.
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- Sur le plan national
Rappelons que les actes de corruption que sont entres autres, le trafic d’influence, l’abus de fonction, l’entrave au bon fonctionnement de la justice sont sanctionnés d’une peine privative de liberté d’un à cinq (5) ans ainsi que d’une amende de cinq millions pour la première infraction et d’un à cinq millions de francs pour les deux autres. Quant au détournement de deniers publics, à la corruption d’agent public étranger ou dans le secteur privé, c’est une condamnation de cinq (5) à dix (10) ans que le corrupteur ou le corrompu encourt, en plus d’une amende de cinq à 10 millions de francs.6
Pour ce qui est des infractions assimilées, selon l’ordonnance N° 2013-660 relative à ces manquements, les conflits d’intérêts , les prises illégales d’intérêts, l’enrichissement illicite, les cadeaux, le financement illégal des partis politiques, le harcèlement moral, le recel et les infractions liées à l’obligation de dénonciation sont passibles d’une peine privative de liberté allant d’une (1) à cinq (5) années avec des amendes comprises entre un (1) et cinq (5) millions pour la quasi-totalité, sauf le financement illégal des partis politiques qui est fixé entre 10 et 50 millions de francs CFA. En ce qui concerne l’enrichissement illicite, c’est un emprisonnement d’un (1) à cinq (5) années ainsi qu’une amende équivalant le triple de la valeur des biens illicitement acquis7.
La création de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance par l’ordonnance N° 2013-660 du 20 Septembre 2013, et l’ordonnance N° 2013-661 du 20 Septembre 2013 portant attributions, compositions, organisation et fonctionnement de la Haute Autorité pour la Bonne Gouvernance vient renforcer le cadre juridique en tenant compte également des engagements internationaux de l’Etat dans le cadre de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
C’est un instrument mis en place par le gouvernement dans le cadre de son plan de lutte contre la corruption et la délinquance économique et financière. Elle est une autorité administrative indépendante dotée d’une personnalité morale ainsi que de l’autonomie financière. Elle assure une mission de prévention et de lutte contre la corruption et infractions assimilées. Pour ce faire, elle dispose d’une compétence juridictionnelle sur l’ensemble du territoire.
Egalement, plusieurs lois ont été adoptées, notamment la Loi N° 2016-992 du 14 novembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la Loi N° 2018-570 du 13 juin 2018 relative à la protection des témoins, victimes, dénonciateurs, experts et autres personnes concernées, la Loi N° 2018-573 du 13 juin 2018 portant régime juridique du gel des avoirs et la Loi N° 2013-857 du 23 décembre 2013 ratifiant l’ordonnance 2013-660 du 20 Septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Toutes ces lois en dépit de leurs spécificités et leurs domaines d’interventions jouent un rôle majeur dans la lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire.
L’arsenal juridique ivoirien se dote également d’une juridiction spécialisée dénommée pôle pénal économique et financier qui vise la répression de la corruption et des infractions assimilées, du blanchement de capitaux, du financement du terrorisme et des infractions financières connexes en cohérence avec les engagements internationaux du pays. Il est composé d’une équipe de onze (11) magistrats dont la présidente, cinq (5) juges d’instructions, un (1) procureur de la république adjoint et quatre (4) substituts du procureur.
L’on est en mesure d’affirmer et ce à juste titre que la Côte d’Ivoire dispose d’un arsenal juridique impressionnant dans le cadre de son plan de lutte contre la corruption et les infractions assimilées, mais peut- on en dire de même de son efficacité ?
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De l’efficacité des nouvelles réformes juridiques de lutte contre la corruption
L’étude du cadre juridique de lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire à permis de reconnaître que l’Etat dans sa politique accorde une place prépondérante au phénomène de corruption et aux infractions qui y sont assimilées.
Cela a permis de produire des résultats positifs (A). Néanmoins, force est de constater qu’il existe des facteurs externes au cadre juridique qui limitent l’efficacité des moyens de lutte (B).
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Un bilan positif
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Le renforcement du cadre juridique de lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire a abouti à une nette amélioration de l’indice de perception.
Selon le rapport de 2020, une belle progression a été observée depuis 2011 et le pays fait partie de ceux qui ont vu leur score dans l’IPC progresser considérablement au cours des 10 dernières années.8
Nous avons également la mise en place d’une plateforme informatique, avec pour mission de recueillir les dénonciations, les signalements ou alertes des cas de corruption et infractions assimilées pour ainsi procéder à leur traitement.
Parlant de répression, il existe « l’opération coup de poing » menée dans les secteurs de la santé, la justice, du transport et celui des forces de défense et de sécurité. A cet effet, 70 fonctionnaires et agents de l’État ont été épinglés à l’issue de 133 missions effectuées dans les services de l’administration ivoirienne.9
Pour terminer, la création d’une juridiction spécialisée, le pôle pénal économique et financier, viendra démanteler les principaux corrupteurs et corrompus de l’administration centrale et décentralisée.
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Une efficacité limitée par des facteurs externes
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L’éradication de la corruption est étroitement liée au système politique de l’Etat. Dans les pays en voie de développement, notamment en Côte d’Ivoire, la désirabilité sociale de la démocratie va historiquement de pair avec un double réquisit moral ; d’abord, l’exigence de droits et de libertés civils et politiques, dont le droit de choisir ses gouvernants ; ensuite, l’exigence d’une justice sociale se traduisant par l’amélioration des conditions de vie des plus démunis. C’est ainsi que la démocratie, à la fois comme régime et comme gouvernement pour reprendre Rosanvallon, est apparue légitime dans l’histoire de la plupart des sociétés. Dans ces contextes, la démocratie est dans l’obligation de faire ses preuves. Lorsqu’au terme d’une certaine expérience démocratique se répand le sentiment collectivement partagé de grandes désillusions vis-à-vis des promesses de la démocratie, la légitimité supposée de la démocratie se dissout et émergent des formes de normativités concurrentes.10 En d’autres termes, l’éradication de la corruption dépend du respect des promesses de la démocratie vis-à-vis du peuple lui-même. Plus la démocratie n’est pas respectée et plus la corruption se développe.
A cet effet, il faut lier nécessairement le contenu des lois à la pratique dans le cadre de la prévention du phénomène. Il s’agit notamment de la transparence effective dans la politique de gestion de l’administration, aussi bien par les agents publics que privés. L’un des facteurs entravant la politique juridique de lutte contre la corruption demeure la culture.
Il s’agit de la balance entre la primauté des règles juridiques et du code d’éthique culturel de chaque peuple. Il s’agit pour un individu d’agir en faveur du bien être de son entourage pour lequel il se sent moralement obligé d’aider.
Selon le rapport de l’enquête sur l’état de corruption à Abidjan (ECA 2015), 22% de la population affirme que le fort taux de corruption en Côte d’Ivoire est dû à l’impunité11. Concernant les trois pouvoirs, 53% de la population trouve le pouvoir judiciaire le plus corrompu12. Il existe donc d’innombrables raisons qui justifient l’inefficacité des réformes juridiques dans le cadre de la lutte contre la corruption en Côte d’Ivoire.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
TEXTES DE LOIS
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Convention de l’union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption, Maputo, le 11 Juillet 2003.
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Convention des Nations Unies contre la corruption, décembre 2003.
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Loi N°2013-875 du 23 décembre 2013 ratifiant l’ordonnance 2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.
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Loi N° 2016-992 du 14 novembre 2016 relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
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Loi N° 2018-570 du 13 juin 2018 relative à la protection des témoins, victimes, dénonciateurs, experts et autres personnes concernées.
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Loi N° 2018-573 du 13 juin 2018 portant régime juridique du gel des avoirs.
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Loi N° 2013-857 du 23 décembre 2013 ratifiant l’ordonnance 2013-660 du 20 Septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.
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Ordonnance N°2013-660 du 20 septembre 2013 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
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Ordonnance N° 2013-661 du 20 septembre 2013 relative aux attributions, à l’organisation et au fonctionnement de la HABG.
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Ordonnance N° 2018-25 du 17 janvier 2018 modifiant l’ordonnance N°2013-660.
RAPPORTS ET ARTICLES
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Jean Albert Pierre « La corruption entre complexité et tour de force du droit international »n°45, 2016, PP.147-162.
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Rapport d’enquête sur l’état de la corruption à Abidjan (ECA 2015).
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Doh Jean Maximin « La corruption, un délit sévèrement puni par la législation ivoirienne », publié le 08 juillet 2018/AIP.
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Sofia Wickberg, « Corruption », mis en ligne sur cairn.info le 14/11/2018.
WEBOGRAPHIE
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Rapport sur l’état de la corruption en CI, tiré sur https://www.transparency.org/country#CIV
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Anti-corruption laws in Cote d’Ivoire, tiré sur le site www.lexafrica.com
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Lutte anticorruption : une cause nationale, tiré du site www.GOUV.CI
1 Sofia Wickberg, « Corruption », mis en ligne sur cairn.info le 14/11/2018.
2 Rapport d’activité sur l’état de la corruption, tiré du sitehttps://www.transparency.org/country#CIV
3Anti-corruption laws in Cote d’Ivoire, tiré sur le site www.lexafrica.com
4 Convention des Nations Unies sur la corruption, décembre 2003.
5 Convention de l’Union Africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée le 11 juillet 2003 à Maputo.
6 Ordonnance N°2013-660 du 20 Septembre 2013.
7 Doh Jean Maximin « La corruption, un délit sévèrement puni par la législation ivoirienne, publié le 08 juillet 2018/AIP.
8Lutte anticorruption : une cause nationale, tiré du site www.GOUV.CI
9 Lutte anticorruption. Ibidem
10 Jean Abel Pierre « La corruption entre complexité et tour de force du droit international »n°45, 2016, PP.147-162.
11 Rapport d’enquête sur l’état de la corruption à Abidjan (ECA 2015).
12 Ibidem