
Introduction
En 2018, une déclaration faite par le Ministre Ivoirien de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion Professionnelle et du Service Civique, Mamadou Touré avait rendu un bon nombre de citoyens perplexes, d’autant plus qu’il possède également la casquette de porte-parole du gouvernement : “La seule vraie enquête qui a été menée, a été faite en 2012 par le ministère de l’Emploi avec l’appui du Bureau international du travail (BIT) et la plus grosse structure de statistiques en Afrique qui a permis de sortir les premiers vrais chiffres. En 2012, ces chiffres disaient que nous avions 9% de chômeurs en Côte d’Ivoire.
Et nous sommes passés avec la dynamique économique à 5% de chômeurs et nous sommes descendus à 2%’’
2% de taux de chômage en Côte d’Ivoire ? Surréaliste vous nous direz, surtout lorsque nous savons que dans des pays Africains possédant une meilleure économie que la nôtre comme le Nigéria ou encore l’Afrique du Sud, ce taux oscille entre 30 et 40%. Si nous prenons le cas de pays membres du G7 comme l’Allemagne qui a un taux de chômage de 5.5% ou la France 8%, nous pouvons aussi nous demander sur quelles bases reposaient les chiffres et affirmations du ministre Touré.
Avant de rentrer dans les détails, nous allons déjà voir les mécanismes qui se cachent derrière l’économie du travail qui nous permettront de trouver des nuances aux propos du Ministre Touré, ensuite nous étudierons de manière globale le problème de l’emploi en Côte d’Ivoire et nous essaierons d’y apporter des pistes de solution.
Économie du travail, qu’est-ce que c’est ?
Tout d’abord, l’économie du travail est tout simplement définie comme étant la branche de l’économie étudiant le marché de l’emploi. Cependant cette dernière fait intervenir de nombreux concepts qu’il faut prendre en compte afin de pouvoir mieux cerner les contours du problème. Les composantes à avoir à l’esprit sont :
- La population active (L) : le nombre de personnes présentes sur le marché de l’emploi employées ou recherchant de manière sérieuse du travail
- Le taux de chômage (u): le nombre de personnes de la population active qui recherche un emploi / le nombre total de personnes présentes dans la population active
- Le taux de participation de la population active : la population active / les personnes en âge de travailler
- Le salaire (W) : rémunération obtenue après un travail effectué ou un service proposé
- Le salaire réel : le salaire (W) / (P) qui est le prix qui ici représente le pouvoir de l’inflation sur le marché de l’emploi
- La productivité qui est l’output global produit par l’économie (Y) / (N) le nombre de personnes employées sur le marché de l’emploi.
Maintenant que les concepts clés sont définis, nous allons expliquer à l’aide d’un schéma comment fonctionne le marché de l’emploi à l’équilibre.

Nous voyons sur le graphique que ce sont les courbes d’offres et de demandes agrégées qui déterminent les quantités échangées et le salaire. En d’autres termes, on peut penser ce problème de manière intuitive en le comparant à un véritable marché au sens trivial du terme. Le jour de marché, il y a des offreurs d’emplois qui sont prêts à l’embauche et des demandeurs qui eux se portent candidats, et tous se pressent au même moment sur le marché de l’emploi. Tout en haut de ces mécanismes, il y aura un acteur pour les monitorer, de telle sorte que l’on puisse identifier l’offre totale d’emplois et la demande correspondante, cette dernière étant obtenue en calculant pour chaque taux de salaire des quantités demandées par les différents employeurs. Concernant la demande de travail on observe que plus le salaire est élevé, plus la quantité de travail demandée est faible, ce qui explique la négativité de la pente de la courbe de la demande. Quant à l’offre, le constat est totalement différent. Vu que les deux fonctionnent de manière inverse, il y aura plusieurs mouvements sur le marché avant de trouver un taux de salaire pour lequel les uns et les autres seront satisfaits, ce qui nous conduira donc à l’équilibre. Le salaire s’établit donc comme étant le point focal dans la définition du taux de chômage mais avant de passer exclusivement à la question Ivoirienne, nous verrons qu’il existe différentes sources qui conduisent également au chômage :
- Le chômage frictionnel : ce chômage est inévitable car il est intrinsèque à l’économie d’un pays et des principaux chocs qui pourraient survenir.
- Le chômage structurel : Ce taux de chômage est celui qui pourra le mieux expliquer le marché de l’emploi en Côte d’Ivoire. Il s’explique par le fait que les compétences des demandeurs d’emplois ne soient pas en lien avec les attentes du marché. La rigidité réglementaire et des politiques institutionnelles (SMIC, assurances etc.) peuvent également le définir
- Le chômage conjoncturel : Ce chômage dépend des différents cycles de l’économie
Après avoir compris les mécanismes qui régissent le marché de l’emploi, nous pouvons revenir au propos du ministre Touré et essayer de l’étudier : lorsque l’on regarde autour de nous en Côte d’Ivoire et que nous voyons à chaque coin de rue, des diplômés souvent détenteurs de diplômes Bac +5 « gérer des cabines », nous constatons qu’il y a de nombreuses personnes qui se « débrouillent » en acceptant de faire des activités qui sont nettement en deçà de leur valeur intrinsèque. Si l’on veut voir le problème sous cet angle, peut-être que le taux de chômage pourrait être faible, encore loin des 2%, car on considérera selon la définition du taux de chômage que ces personnes ne sont plus en quête d’emploi en raison de leur activité du moment. Il serait également difficile de valider ces assertions compte tenu de la grande proportion informelle dont fait preuve notre économie.
Selon la Banque mondiale, l’économie informelle emploierait plus de 90 % de la population active. Cette dernière englobe la plupart du temps ces métiers où les compétences requises sont inférieures aux diplômes des demandeurs d’emplois qui sont souvent obligés d’accepter ces emplois sous la contrainte car ils doivent prendre leur famille en charge.
Le taux de chômage réel en Côte d’Ivoire se situerait entre 70% et 90% selon une estimation de la Banque Africaine de Développement remontant à Mars 2018. La plus grande part du chômage en Côte d’Ivoire est d’ordre structurel. La dernière grève des docteurs qui a récemment secoué la société civile Ivoirienne pourrait appuyer ces propos. L’université forme des personnes dont les compétences ne sont souvent pas nécessaires et encore moins indispensables au bon fonctionnement du marché : le taux d’inadéquation compétences-emplois se situerait à 75,87% selon l’Agence Française de Développement. Dans ces chiffres, nous constatons que 62% des jeunes Ivoiriens sont sur-éduqués et 59% manquent de compétences, dans les deux cas de figure, leurs compétences ne matchent pas à l’offre actuelle. Pour adresser le problème du chômage en Côte d’Ivoire, nous devons impérativement trouver des solutions aux causes structurelles du non-emploi telles qu’un recentrage de formations vers les métiers d’avenir, la création d’un nouveau paradigme pour l’éducation nationale, motiver les jeunes Ivoiriens à entreprendre en créant des solutions qui seront utiles au développement du pays . Mais ce cas de figure pourra être nettement difficile à aborder car il ira contre les libertés individuelles de tout un chacun. Comment expliquer à une personne qu’elle devra forcément faire des études particulières car ces dernières déboucheront sur un emploi vs ce que cette personne veut réellement étudier ? Mais si nous voulons réduire considérablement le chômage il faut que les demandeurs d’emplois aient les compétences clés dont nos économies ont besoin pour se développer.
Aussi, l’État devrait prendre des initiatives pour réduire la part de l’économie informelle de notre pays en la structurant car elle représente un très grand fléau qui empêche considérablement de réduire le taux de chômage. On peut même avoir l’impression que lorsque des jeunes sont à la recherche d’un emploi pendant des mois ou des années et que leur recherche n’aboutit pas, et qu’ils se tournent vers des métiers de l’économie informelle, les gouvernants trouvent une sorte de satisfaction alors que le potentiel de croissance de ces métiers est connu pour être extrêmement faible. Le taux de participation de la population active (définie plus haut) est aussi très élevé en Côte d’Ivoire où selon l’Institut National de la Statistique (INS), 50% de la population aurait 20 ans ou moins et à peu près 40% des personnes âgées entre 15 et 24 ans sont en âge de travailler mais ces jeunes sont encore et toujours capturés par l’économie informelle.
Pour améliorer la problématique de l’emploi, il faudrait globalement repenser tout le système éducatif de la Côte d’Ivoire. Nous avons hérité du mode de fonctionnement du système français pendant la colonisation, mais ce dernier s’est beaucoup réinventé entre temps. Une idée non négligeable pourrait être de recentrer nos systèmes éducatifs vers la professionnalisation en instaurant l’apprentissage dans nos mœurs. La Suisse est un pays qui possède l’un des taux de chômage les plus faibles du monde (env. 2.8%) car ce dernier a un système éducatif très particulier. Dès l’âge de 14 ans en Suisse, le système éducatif fait un tri entre les élèves qui continueront dans le système général dans le but d’obtenir la maturité (équivalent du baccalauréat) et les autres qui se dirigeront directement vers l’apprentissage. Le plus étonnant est que la plus grande partie des collégiens de ce pays choisissent l’apprentissage (selon le célèbre quotidien suisse, Le Temps, la maturité gymnasiale (équivalent du baccalauréat) ne représenterait que 16.9% des titres) où ils peuvent directement apprendre un métier au sein d’une entreprise tout en allant dans une école professionnelle, et à la fin de leur cursus, l’entreprise d’accueil les embauchera dans la majorité des cas car leurs compétences seront parfaitement alignées aux besoins de l’entreprise après ces 3 à 4 années d’apprentissage et donc rend le chômage structurel presque nul. Observant les mentalités, et suivant des débats de la société civile sur différents médias bien connus en Côte d’Ivoire on considère souvent comme en situation d’échec les élèves se tournant vers des voies professionnelles, rien que pour le simple retour des coefficients au collège, nous avons vu deux groupes de pensée s’opposer… mais le monde étant fait de tout et si nous voulons voir notre taux de chômage baisser, cela est l’une des solutions qui semble être la plus réaliste.
Globalement, nous avons vu que le marché de l’emploi en Côte d’Ivoire est assez particulier car il n’est pas vraiment influencé par W i.e., le salaire mais plus par l’informalité de notre économie et le manque de compétences s’alignant avec les besoins du marché. Pour trouver les bonnes compétences, il faudrait qu’elles soient enseignées à l’école en fonction des attentes du marché à l’instant t, et cela passe par un changement total de nos coutumes et modes de pensées.
Sources :
https://www.afrique-sur7.ci/406582-taux-chomage-mamadou-toure
https://www.7info.ci/toure-mamadou-reconnait-la-grosse-realite-du-chomage-contraire-aux-chiffres/
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/allemagne-le-taux-de-chomage-stable-a-5-5-en-septembre-20210930
https://www.letemps.ch/suisse/suisse-pays-lapprentissage
Problématique de l’emploi en Côte d’Ivoire : état des lieux et pistes de solutions – version pdf