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     Introduction

La Banque mondiale définit l’éducation comme « un droit fondamental, un puissant vecteur de développement et l’un des meilleurs moyens de réduire la pauvreté, d’élever les niveaux de santé, de promouvoir l’égalité entre les sexes et de faire progresser la paix et la stabilité »[1]. Cette définition rejoint cette citation de Joseph Ki-Zerbo l’un des plus grands penseurs de l’Afrique contemporaine qui affirmait dans son livre ‘’A quand l’Afrique ?’’ que « L’éducation est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés ». L’éducation jouerait donc un rôle très important dans l’avenir de toute société qui se veut pérenne.

A travers le monde, l’on peut observer que de nombreux pays sur presque tous les continents (Chine, Finlande, Canada, USA, Singapour, France, Afrique du Sud, Maroc …) ont fait de leur système éducatif l’un des piliers de leur développement en se dotant d’infrastructures et d’un dispositif de qualité. Comme le dit Tidjane Thiam « je n’ai jamais vu un pays réussir économiquement en négligeant d’investir dans l’éducation »

Dans le domaine de l’enseignement supérieur, les établissements sont classés par diverses institutions et publications. Ces classements sont basés sur un ensemble de critères quantitatifs divers et variés, afin d’établir une certaine hiérarchie des institutions universitaires à travers le monde. Quoique l’on puisse penser de cette gamme variée de critères (Rapport Boudin, 2008)[2], il reste que, dans le contexte de la concurrence internationale, on doit s’attendre à voir de plus en plus d’études de ce genre car la massification de l’enseignement supérieur et son orientation progressive vers le marché déterminent les étudiants, les gouvernements, les employeurs, les parents et les institutions d’enseignement supérieur du monde entier à s’intéresser de plus près au « statut » des différentes universités.

En o     utre, le système de classement des universités a également pour avantage notable de contribuer à leur prestige en donnant aux universités classées des places bien visibles sur la scène universitaire internationale.

C’est dans ce contexte que nous avons décidé de  mener une réflexion sur      le positionnement des établissements supérieurs africains en général dans la compétition internationale avec une lucarne sur les grandes écoles et universités ivoiriennes Pour y parvenir, notre réflexion a été menée autour des questions suivantes :

Comment les grandes écoles et universités sont-elles classées ? Quelle est la position actuelle des établissements supérieurs ivoiriens dans ces classements ? Qu’est-ce qui rend certaines grandes écoles et universités plus compétitives que d’autres et quelles sont les raisons de leur rayonnement ? En d’autres termes, quelles sont les pistes de solutions pour améliorer la place des écoles africaines en général et ivoiriennes en particulier dans ces classements ?

Nous tenterons d’y apporter des réponses dans la suite de notre analyse.

  • Comment les établissements d’enseignement supérieur sont-ils classés ?

On appelle établissement d’enseignement supérieur l’ensemble des établissements qui dispensent un enseignement au-delà de la classe de terminale, en université, école supérieure, etc. dans de nombreux domaines. L’enseignement supérieur s’est massivement internationalisé ces dernières années. Dans tous les pays les plus développés économiquement, les universités cherchent à capter un public d’étudiants étrangers, à envoyer elles-mêmes leurs étudiants à l’étranger et à recruter des enseignants-chercheurs étrangers. Les finalités assignées sont multiples, parmi lesquelles mieux préparer les étudiants à travailler dans un monde multiculturel et globalisé, obtenir une meilleure visibilité à l’international en accédant au statut « d’université de classe mondiale », se manifestant entre autres par un classement en bonne place dans les palmarès les plus réputés.

Tableau 1: World Ranking Top 20 Universities, Janvier 2022

 

Les trois classements internationaux qui captent le plus l’attention des médias sont le Times Higher Education World University Ranking, le Shanghai Academic Ranking of World Universities et le Webometrics Ranking of World Universities. Tous les trois classent des institutions universitaires selon un nombre restreint d’indicateurs quantitatifs pour établir une hiérarchie. On distingue deux sortes de classements ou rankings :

  • Les rankings de réputation fondés par exemple sur les taux de satisfaction des employeurs de diplômés ou ceux des étudiants ;
  • Les rankings de performance où l’on compte les résultats scientifiques obtenus par les universités.
  • Quel est le classement actuel des établissements supérieurs africains et ivoiriens dans la compétition internationale ?

Le constat que l’on fait en parcourant ces différents types de classement est sans équivoque. Les établissements supérieurs africains sont presque inexistants sur ces listes parmi les 200 premières top universités sur le plan international. Dans le cadre de notre analyse nous avons choisi le classement effectué par le site Ranking Web of World Universities comme illustration.

Comme le soulignent, fort à propos, Aguillo, Ortega et Fernandez (2008), « Dans un monde où chaque jour nous devenons plus interconnectés, la visibilité globale du monde universitaire est clairement liée à son attachement au réseau Internet mondial. Il est donc primordial de prendre en considération les publications sur Internet, non seulement en tant que principal outil communication scientifique, mais aussi comme reflet fidèle de l’organisation générale et de la performance des universités »[3].

Le Webometrics Ranking of World Universities, retient notre attention notamment car ses classements régionaux qui divisent le monde en sept régions peuvent être particulièrement utiles pour les universités les moins bien classées au niveau mondial. En outre, la division en régions offre davantage de souplesse dans les comparaisons. Il apparaît en effet que pour une université africaine, se comparer à ses homologues régionaux et les utiliser comme référents afin de s’améliorer est beaucoup plus pertinent que de prendre les meilleures universités des États-Unis à titre de référence.

Le classement Webometrics des universités mondiales est une initiative du Cybermetrics Lab, un groupe de recherche du Conseil Supérieur des Investigations Scientifique (CSIS), reconnu comme le plus grand organisme de recherche public espagnol. Créé en 2004, il vise à offrir une couverture complète des établissements d’enseignement supérieur (EES), indépendamment du pays ou de la discipline. Actuellement, il classe 30 000 EES dans plus de 200 pays. Cette année, il s’agit de la 18e année de publication. Utilisant des données bibliométriques comme informations de base, cette technique cyber-métrique résume la performance globale de chaque université classée en mesurant sa présence sur le web par la visibilité de ses activités de recherche et par son engagement dans la diffusion de ses connaissances scientifiques et techniques.

Webometrics évalue chaque établissement selon huit critères (le nombre de ses travaux de recherche ; la qualité de ses diplômés et les étapes de leurs connaissances ; les services fournis dans ses domaines de compétence ; sa contribution à la connaissance moderne ; l’étendue de son accès à la technologie ; sa présence sur le web et son utilisation de la technologie de l’information ; les études et documents publiés sur son site ainsi que le nombre de visites en lien ; la performance et la clarté de ses messages en tant qu’institution sur le web).

 

Tableau 2 : Webometrics Rankings Indicators

 

En observant le Webometrics Ranking of African Universities, sur cinquante-trois pays que compte le continent africain, moins de la moitié (vingt-quatre) sont classés selon une analyse en 2010 du professeur Ndoye de la Faculté des sciences et technologies de l’éducation et de la formation de l’Université Cheikh Anta DIOP de Dakar (Sénégal). Et douze ans après, la situation n’a pas beaucoup évolué.

Selon les récents classements, sur les 200 meilleures universités du classement général en Afrique, l’Egypte domine avec 37 universités, suivie du Nigeria qui compte 32 universités et de l’Algérie avec 28. L’Afrique du Sud qui compte 8 des 10 premières universités africaines s’en sort avec 23 universités au total. La Côte d’Ivoire se retrouve un peu plus loin derrière dans ce classement avec 20 universités dont l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody (4346ème au rang mondial et 191 ème en Afrique), l’Institut National Polytechnique Houphouët Boigny (5505ème au rang mondial et 261 ème en Afrique) et l’Université Nangui Abrogoua (7818 ème au rang mondial et 382 ème en Afrique) constituent ensemble le trio de tête en matière d’excellence en Côte d’Ivoire.

 

Tableau 3 : Webometrics Classement Universités Ivoiriennes, January 2022

 

L’on peut voir ici que les universités ivoiriennes ont encore beaucoup de chemin à parcourir afin de se hisser en haut du classement aux niveaux régional, sous régional et mondial. Cela reflète également la position des universités Africaines de façon générale qui malgré la qualité des diplômés qui y sont formés demeurent dans les méandres des classements.  Lorsque La première université africaine, Cape Town University, se situe à la 240e place (Webometrics Ranking) sur les cinq cents meilleures universités classées au monde, le constat est clair :  La grande absente reste l’Afrique. Si l’on excepte l’Afrique du Sud, les universités africaines sont très distancées par leurs consœurs occidentales.

Ces classements ont certes leurs biais mais ils demeurent un excellent indicateur qui reflète la position actuelle de nos établissements supérieurs dans la compétition mondiale. Au regard de tout ce qui précède, il serait donc légitime de se demander ce qui rend certaines universités plus rayonnantes et plus compétitives que d’autres.

 

  • Qu’est ce qui rend les écoles occidentales plus compétitives que celles en Afrique en général et ivoiriennes en particulier ?

Même s’il est difficile d’en déterminer les raisons avec exactitude, nous pouvons cependant émettre quelques hypothèses sur les causes du retard des établissements supérieurs Africains dans la compétition internationale. Celles-ci pourraient être liées à plusieurs éléments dont :

  • Le poids de l’histoire

Loin de moi l’idée de faire de l’auto-victimisation, mais ne dit-on pas que le passé peut parfois conjecturer l’avenir ? Il est donc important avant tout développement de regarder un brin en arrière afin de comprendre les causes profondes.

Si l’on remonte un peu plus dans le temps, on peut voir que les relations internationales ont très tôt influencé la construction des systèmes scolaires africains, de l’implantation des premières écoles coraniques puis des écoles de mission, au développement scolaire impulsé durant la période coloniale.

Aux indépendances, les systèmes scolaires africains sont restés très dépendants de ceux des anciennes métropoles, même si les années 1960-1980 ont permis aux Etats africains de promulguer des réformes et d’assurer un développement rapide de l’ensemble du système scolaire. Les processus de mondialisation dans le champ éducatif se sont amplifiés pour donner suite à la mise en place des programmes d’ajustement structurel et l’intervention accrue des donateurs internationaux ou bailleurs de fonds. Ces derniers ont investi différentes thématiques, dont ils avaient décidé unilatéralement du caractère prioritaire.

Au fur et à mesure de leurs interventions et modalités celles-ci se sont transformées en oscillant entre tentatives de se substituer aux Etats africains et de marginaliser l’action de ceux-ci au profit des acteurs privés et tentatives de redonner un rôle central aux Etats dans l’élaboration des politiques publiques et la gestion du système scolaire[4]. C’est dire à quel point le système éducatif africain a subi de nombreuses influences extérieures d’où une forme de perte d’indépendance dans le cadre de la mise en place d’un modèle éducatif purement Africain.

 

 

Tableau 4 : Exemples de quelques réformes (et leurs initiateurs) en Afrique, source École, relations internationales et mondialisation en Afrique, Marie-France Lange, 2013

 

  • Le niveau de financement

Les universités américaines qui sont toujours à la tête des classements des meilleures universités au monde ont des budgets assez élevés qui leur permettent de continuer à grandir, se développer et mettre les étudiants et le corps enseignant dans les meilleures conditions possibles afin de produire les excellents résultats que nous connaissons.

Même s’il est communément admis qu’il faut des siècles pour qu’une université atteigne une réputation mondiale d’excellence, comment se fait-il que tant d’universités américaines aient atteint un niveau international en à peine quelques décennies (Stanford, Berkeley, Carnegie Mellon, l’université de Chicago, Johns Hopkins, l’université du Michigan, et bien d’autres) ? Celles-ci sont en grande majorité financées par le secteur privé vu les limites des états à atteindre le niveau de financement nécessaire et la crise financière. Ces dernières jouissent donc d’une grande autonomie. En France par exemple, le secteur privé ne représente qu’environ 20 % de la dotation des universités françaises en 2017, mais continue de se développer à l’image des universités américaines.

Face à cette situation, les meilleures universités en Europe commencent à basculer de plus en plus vers ce nouveau modèle de financement. Certaines d’entre elles ont des initiatives plus innovantes comme la vente de certains services. Un article du journal Le Point de 2018 montre que depuis quelques années, de plus en plus d’universités européennes organisent des événements ou louent leurs locaux. Avec cet espoir : parvenir à faire comme leurs consœurs britanniques, dont 15 % en moyenne des ressources proviennent de ces prestations. Ce type de pratique est à l’opposé de ce que l’on peut constater dans de nombreux pays africains où l’Etat est la principale source de financement des universités. En Côte d’Ivoire par exemple, nous notons qu’en moyenne environ 20% des dépenses publiques liées à l’éducation entre 2000 et 2017 étaient consacrées à l’enseignement supérieur.

 

Graphe 1 : Extrait des données de la banque mondiale consacrées à l’enseignement supérieur (% des dépenses publiques consacrées à l’éducation) en Côte d’Ivoire

 

Un pourcentage inférieur comme on peut le constater au budget investi dans l’enseignement supérieur en comparaison dans les pays membres de l’OCDE. Mais un élément important qu’il ne faudrait pas oublier de mentionner, c’est le coût très élevé des études dans ces universités de référence auxquelles il n’est pour le moment pas très évident pour les écoles dans des pays en voie de développement comme la Côte d’Ivoire de se conformer.

 

Graphe 2 : Part relative des financements publics et privés alloués aux établissements d’enseignement supérieur en financement en 2017 (en %). Source OCDE, Regards sur l’éducation 2020

 

Graphe 3 : Frais moyens d’inscription dans les universités publiques au niveau licence. Source OCDE, Regards sur l’éducation 2020
  • La qualité de l’enseignement et de la Recherche

Comme mentionné plus tôt, de nombreux classement prennent en compte les avis de plusieurs experts et professionnels de l’enseignement supérieur (souvent jusqu’à 100000) afin de déterminer le niveau de qualité de l’enseignement et de la recherche. C’est dire à quel point la qualité de l’enseignement et les productions dans le cadre de la recherche sont des critères de différenciation importants pour le positionnement d’un établissement supérieur.

En Afrique      nous pouvons constater,      à travers le classement Webometrics, que les universités anglophones sont bien mieux positionnées par rapport aux établissements d’enseignement supérieur d’Afrique francophone pour ce qui est de la recherche. Cela est dû déjà à l’avantage de la langue anglaise utilisée mais également à leur système en lui-même.

Héritée du système d’enseignement supérieur français, la structure des universités francophones d’Afrique de l’Ouest a gardé, en général, une certaine dispersion des organismes de recherche et donc un certain émiettement des chercheurs et des publications. Cette situation ne favorise pas leur classement devant des universités anglophones de grande taille dans lesquelles la recherche est d’habitude menée par une seule entité. C’est également le cas en Côte d’Ivoire malgré les efforts et les mesures mises en place par le gouvernement à travers les différents organismes de recherche organisés en pôles de compétences (Pôle de compétences Santé, Pôle de compétence Substances Naturelles, Pôle de compétences Gouvernance, Pôle de compétences Civilisation, …).

Les pôles de compétences sont constitués par des établissements de recherche et/ou de formation, des organismes publics et privés regroupés par domaine de compétence, autour d’une thématique de recherche. Ils sont constitués, pour une durée de quatre (4) ans renouvelables, par contrat entre les structures concernées et l’Etat. Les pôles de compétences ont pour objectifs :

  • La création d’une synergie autour d’une thématique de recherche ayant des retombées sur le développement scientifique, technologique, socioculturel et économique du pays ;
  • La constitution d’une masse critique permettant aux équipes de recherche de travailler dans des conditions optimales sur le plan humain et matériel ;
  • L’utilisation rationnelle des moyens humains, matériels et financiers disponibles ;
  • La mise en place d’équipes de recherche pluridisciplinaires en vue de favoriser le travail collectif, de mutualiser les expériences et expertises ainsi que les équipements scientifiques ;
  • La promotion d’une recherche de qualité, pertinente compétitive au niveau régional et international ;
  • La mise en place d’écoles doctorales voire de collèges doctoraux pour une formation à la recherche et par la recherche de qualité ;
  • L’instauration d’un système de communication facilitant l’échange d’expériences et la circulation de l’information ;
  • La création, à terme, de centres nationaux de recherche.

Pour atteindre ces objectifs, les huit (8) Pôles de Compétences sont organisés autour de 24 Programmes Nationaux de Recherches (PNR). Cela s’avère insuffisant du fait de cette dispersion, mais également à cause du manque de transparence autour de la qualité des publications des chiffres clés pour évaluer cette recherche.

En ce qui concerne la qualité de l’enseignement, il semble que, si l’on se base sur les critères connus pour l’évaluer, que le problème ne s’y trouve pas. Car les critères généralement retenus (qualité de l’éducation – des Lauréats du Prix Nobel et des médaillés Field, qualité de la faculté – personnel « nobélisé » et médaillés Field, citation des chercheurs dans vingt-et-une catégorie de sujet –, et enfin résultats de la recherche – indexés dans Science Citation Index-Expanded et Social Science Citation Index) ne portent pas sur l’enseignement. Mais lorsque nous avons des amphithéâtres qui débordent d’étudiants et souvent sans la logistique appropriée pour dispenser les cours, cela a forcément un impact non négligeable sur la qualité des cours reçus par les étudiants. Cela fait appel à l’indice taux d’encadrement qui fait appel au ratio du nombre d’enseignants par étudiant en amphi.

Lors d’un atelier de réflexion en Mars 2019 sur l’une des principales revendications des syndicats d’enseignants du supérieur public, la question des heures complémentaires et d’encadrement aux enseignants-chercheurs et chercheurs avec le ministre Mabri Toikeusse faisait état du changement dans l’environnement des universités et grandes écoles en énumérant les contraintes comme La  forte augmentation des effectifs d’étudiants, et conséquemment, l’insuffisance du nombre d’enseignants-chercheurs et de chercheurs , les capacités d’accueil insuffisantes des universités  (nombre de salles de TD / TP et d’amphis etc.). Aussi, sommes-nous bien loin des exigences du système LMD qui requièrent une reconfiguration des offres de formation et une élaboration de nouvelles maquettes pédagogiques, conformément aux exigences nouvelles.

Cette nouvelle donne, qui n’a pas été suffisamment prise en compte, est en partie, à l’origine des crises récurrentes dans les établissements d’enseignement supérieurs et de recherche en Côte d’Ivoire.

 

  • L’ouverture vers l’international

L’enseignement supérieur s’est massivement internationalisé ces dernières années. Dans tous les pays les plus développés économiquement, les universités cherchent à capter un public d’étudiants étrangers et à envoyer elles-mêmes leurs étudiants à l’étranger et à recruter des enseignants-chercheurs étrangers. Les finalités assignées sont multiples, parmi lesquelles mieux préparer les étudiants à travailler dans un monde multiculturel et globalisé, obtenir une meilleure visibilité à l’international en accédant au statut « d’université de classe mondiale », se manifestant entre autres par un classement en bonne place dans les palmarès les plus réputés (Shanghai, Times Higher Education). Avoir des professeurs et des étudiants internationaux constitue donc un élément important du positionnement d’un établissement supérieur au rang de meilleure université dans le monde. Les maîtres mots de cette ouverture vers l’international sont mobilité et partenariat.

L’Afrique est le continent ayant le taux le plus élevé de mobilité des étudiants dans le monde avec 10 % d’étudiants mobiles. En 2013, Il y avait quelques 300 000 étudiants africains à l’extérieur de l’Afrique ; 56 % d’entre eux étaient dans les pays européens (Campus France, 2016).

Parmi ceux qui étudient en Europe, 92 000 (environ 54 %) étaient en France, originaires principalement d’Afrique du Nord mais aussi d’autres pays d’Afrique francophone. Le Royaume-Uni et les États-Unis comptaient chacun environ 32 000 étudiants. La préférence pour la France est principalement due à la facilité de la langue, aux frais de scolarité très bas, à la proximité de l’Afrique du Nord et sans doute à la possibilité d’une éventuelle émigration. Mais déjà en 2013, il y avait une baisse d’environ 10 % du nombre d’étudiants africains étudiant en dehors de l’Afrique par rapport aux statistiques de 2011. Les taux de scolarisation pour les étudiants africains sont inacceptables et les pays africains ne peuvent répondre à la demande toujours croissante d’enseignement supérieur de qualité au niveau national, que ce soit dans les institutions publiques ou privées selon les recherches de Stamenka Uvalic-Trumbic[5].

Il y a donc une appétence pour les étudiants africains à s’ouvrir vers le monde. Les états devraient donc tisser plus de partenariats afin de permettre à beaucoup plus d’étudiants de bénéficier de cette formation à l’international. En côte d’Ivoire par exemple, des écoles comme l’INPHB de Yamoussoukro l’ont bien débuté en tissant des partenariats avec de nombreuses écoles d’excellence en Europe comme l’X Polytechnique, HEC Paris, Telecom Brest, Brighton University, Haute Ecole de Gestion Arc en Suisse …. Ces partenariats donnent la chance chaque année à quelques étudiants de l’INPHB de faire entre un semestre et plusieurs années de formation dans ces écoles de classe internationale afin de leur permettre de s’ouvrir au monde.

C’est un bon début d’internationalisation mais cela s’avère insuffisant à l’échelle nationale car il y a encore de nombreux établissements d’enseignement supérieur en Côte d’Ivoire que ce type de partenariats pourraient faire évoluer.

Face à tous ces problèmes, on peut donc dire qu’il y a de nombreuses opportunités pour permettre aux établissements supérieurs ivoiriens de se hisser en haut du classement d’abord au niveau régional ensuite au niveau africain et enfin au niveau mondial. Mais cela demanderait de mettre en place un plan d’action et un dispositif efficace.

 

  • Quelles pistes de solutions pour les écoles Africaines et Ivoiriennes en particulier ?

Pour ce qui est de comment faire évoluer les grandes écoles et universités en Afrique plusieurs solutions existent. De nombreuses personnalités du système d’enseignement supérieur Africain à l’instar du Docteur N’Doye sont unanimes sur le fait que nos écoles du supérieur doivent prendre pour modèle les meilleures universités en Afrique et dans le monde qui savent d’une part associer l’excellence scientifique à la valorisation de cette excellence et d’autre part traduire en produits les résultats de leurs recherches.

Les universités africaines devront prendre exemple sur elles en finançant plus généreusement leurs chercheurs et en prévoyant un dispositif de diffusion des publications ayant un statut de revue scientifique internationale. Il faudrait donc créer un environnement favorable à l’augmentation des budgets alloués à l’éducation et la recherche, équipements, partenariat et mise à niveau. Il est également possible d’inciter les enseignants-chercheurs à tenter, de façon systématique, de publier dans des revues prestigieuses, ce qui rehausserait la visibilité des universités. Les chercheurs africains pourraient également négocier plus de collaborations avec des chercheurs des universités mieux classées afin de se donner plus de chance de publier dans les meilleures revues.

 À cet effet, les Africains et les entreprises, en général, et les alumni, en particulier, doivent les aider grâce à des financements multiples (dons, legs, etc.) au profit de leurs écoles doctorales ou de leur fondation. Parlant des alumni, à l’image des écoles Américaines, ces derniers pourraient avoir un rôle très important à jouer dans la gestion de nos universités en appartenant au conseil d’administration. Il faut ici souligner le rôle décisif joué par le réseau des anciens élèves dans les universités américaines. L’un des éléments principaux de leur prestige est le fait d’une innovation qui a consisté à confier le contrôle de la gestion à un conseil d’administration composé dans une proportion plus ou moins large d’anciens élèves qu’on désigne par le mot latin alumni. C’est ce dispositif qui a permis tout à la fois d’assurer à ces universités autonomie, vision, financements généreux et sérénité.

Le rôle de ces anciens élèves au conseil d’administration a été peu étudié jusqu’à présent, bien que le rôle des administrateurs indépendants ait déjà été mis en lumière en particulier par Rosovsky[6]. Et il est vrai que les administrateurs d’écoles américaines sont effectivement indépendants et qu’ils servent souvent de tampon entre l’école et le politique, par exemple. La proportion des anciens élèves qui siègent au conseil d’administration de leur université à une exception près, est supérieure à 50 %, elle est à 100 % dans trois des cinq premières du classement, les deux autres dépassant les 90 %. En d’autres termes, 19 sur 20 des meilleures universités américaines sont entièrement entre les mains de leurs anciens élèves.      Ce sont également des établissements à but non lucratif. On peut conclure que c’est la combinaison de ces deux facteurs qui assure durablement la permanence de l’excellence. Cela est vrai aussi pour les 100 premières universités. La richesse et la notoriété d’une université sont directement corrélées à l’importance de la part prise par les alumni dans sa gestion. Ce constat vaut pour tous les établissements, qu’ils soient privés ou publics, confessionnels ou non. Ce système a été inauguré par l’État du Massachusetts qui, en 1865, a pour la première fois officiellement confié la gestion de son université aux alumni. Harvard était donc jusque-là une université d’Etat. Harvard a rapidement atteint un niveau international d’excellence tel que de nombreuses universités américaines, privées et publiques se sont empressées d’adopter le même système de gestion. Il est intéressant de noter que les États-Unis ont emprunté à l’Europe cette forme de gouvernance à but non lucratif (institutions philanthropiques) en y infusant une dimension de compétition.

Le modèle est fondé sur le principe qui veut qu’on donne le contrôle à ceux qui tiennent le plus à l’institution, en l’occurrence à ses anciens élèves qui ont ensuite à cœur de mettre les élèves et les professeurs en concurrence, qui veillent aussi bien aux installations qu’aux cursus et à la recherche. Dans cette logique, ils sont responsables du financement qui permet d’atteindre l’ensemble de ces objectifs d’excellence.

Pour ce qui est de la Côte d’Ivoire, le système LMD était l’un des premiers pas pour permettre aux établissements d’enseignement supérieur ivoirien de s’aligner au système international. Mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir.

Il faudrait donc définir des procédures d’évaluation qualité des écoles avec des améliorations informatiques, développement de méthodes modernes de gestion des activités et du personnel, renouvellement, autonomie et flexibilité, changement d’organigramme et redéfinition de la mission des services (prise en compte du nouveau contexte international).

Il s’agirait de remplacer un fonctionnement jugé dépassé et bureaucratique par une gestion moderne, plus rationnelle, fondée sur le travail en équipe et en réseau, organisée par projets et orientée vers l’efficacité et la qualité[7].

Par ailleurs, le gouvernement a mené quelques actions vers les syndicats de l’enseignement supérieur en proie à de nombreuses grèves afin de s’accorder sur les taux horaires des heures complémentaires, des indemnités d’encadrement ainsi que les taux de décharge horaire liée aux responsabilités. Les résultats de ces réflexions ont été consignés dans un projet de décret dont les arrêtés d’application devront permettre l’instauration d’un environnement apaisé sur les campus, préalable à l’amélioration de la qualité de formation dans les universités et grandes écoles.

Il faudrait également avoir des normes adaptées à notre environnement pour classer nos établissements supérieurs car nombreux sont les classements internationaux qui ne prennent pas en compte les écoles africaines en leur état actuel. Cela demanderait un travail continu de standardisation, de collecte, d’analyse et de diffusion de données sur l’éducation à médiatiser et à adapter aux nouveaux besoins de la mondialisation et de la mesure quantitative du développement.

En outre, il faudrait voter des lois qui obligent les membres du gouvernement à avoir obtenu au moins un diplôme en Côte d’Ivoire avant de pouvoir briguer un poste. En clair, privilégier la formation des élites dans leur propre pays. Cela permettrait une bien meilleure prise de conscience des besoins pour faire évoluer notre système d’enseignement supérieur.

 

 

Conclusion

L’enseignement supérieur a pour rôle de former les futurs cadres. Par ses recherches et ses programmes, il doit contribuer à forger l’unité régionale et nationale africaine tout en ne s’isolant pas des grands courants universels de la civilisation. Il joue un rôle de formation des cadres et doit être un foyer d’éducation permanente. A cet effet, il doit procéder à une révision totale du contenu de ses programmes selon ses besoins et réalités, ses spécificités, sa culture.

Quelles que soient les explications qui seront finalement retenues ; on peut d’ores et déjà retenir que les résultats actuels des universités africaines signifieraient surtout que ces établissements ont beaucoup de progrès à faire en matière de qualité, de pertinence et de financement.

Ces défis pourraient être relevés si, entre autres actions, les autorités des universités africaines s’évertuent à accroître la capacité de tous les Africains à faire face à la culture scientifique et technologique, s’efforcent de promouvoir tous les aspects du potentiel intellectuel humain et s’ingénient à renforcer l’assise financière des universités par l’identification et l’exploitation maximale de toutes les sources de financement possibles. Car en tant que pays en voie de développement, il y a de gros efforts de gestion et d’arbitrage pas toujours évident à faire pour une allocation des ressources.

 

 

Bibliographie & Webographie

https://www.webometrics.info/en/world?sort=asc&order=ranking … 13/03/2022

https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/enseignement-superieur/

ISU : Statistiques comparées sur l’éducation dans le monde (UNESCO)

« Les statistiques de l’éducation de l’UNESCO : restructuration et changement politique | Cairn.info » https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2003-2-page-57.htm → voir conclusion

Éducation | Data – BANQUE MONDIALE : Données Dépenses par élève de l’enseignement supérieur (% du PIB par habitant). Dépenses par élève du primaire (% du PIB … Statistiques sur l’éducation : EdStats.

Board of International Comparative Studies in Education” BICSE

La Banque mondiale, le Programme des Nations Unies pour le Développement PNUD, l’OCDE ou l’UNICEF produisent des projets, des recommandations

Reflections on an international ranking of African University institutions, Abdou Karim Ndoye

https://www.webometrics.info/en/world?sort=asc&order=ranking

École, relations internationales et mondialisation en Afrique , Marie-France Lange , pirale – Revue de recherches en éducation  Année 2013  51  pp. 97-112

https://www.agenceecofin.com/formation/0302-84810-digitalisation-des-universites-voici-le-top-10-d-afrique-subsaharienne-francophone-classement-webometrics

https://www.enseignement.gouv.ci/index.php?open=enseignement&ens=lmd

L’avenir de l’enseignement supérieur en Afrique, UNESCO, Revue Tiers Monde  Année ,1964  17  pp. 143-145

 

 

[1] https://www.banquemondiale.org/fr/topic/education/overview#1

[2] BOUDIN J. (2008) : Enseignement supérieur : le défi des classements. Rapport d’information n° 442 (2007-2008). Paris : Délégation du Sénat pour la planification

[3] Aguillo, Ortega et Fernandez (2008), Travaux de recherches (p. 219).

[4] École, relations internationales et mondialisation en Afrique, Marie-France Lange, 2013

[5] Stamenka Uvalic-Trumbic, Experte en enseignement supérieur, Recherches sur l’internationalisation de l’enseignement supérieur (2020), pages 61 à 87.

[6] Henry Rosovsky, The University: An Owner’s Manual (1991) , Professeur émérite et doyen de l’université de Harvard

[7] Boltanski & Chiapello 1999

 

Auteur : Juvenal Aboua

Quelle place pour les établissements supérieurs ivoiriens dans la compétition mondiale ? – Version PDF

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