
En octobre 2011, les raids aériens de l’OTAN sur la Libye, en soutien aux rebelles, conduisaient à la capture et à l’assassinat du Colonel Kadhafi qui dirigeait le pays depuis le coup d’état de 1969.
Si la fin du régime du Colonel, dont la nature non-démocratique fait peu de doute, est célébrée par ses opposants et les occidentaux, une autre réalité qui en est le corollaire, et qui n’a pas été anticipée dans l’absolu, va vite faire déchanter et constituer une menace pour l’Afrique subsaharienne ainsi que pour l’Europe.
En effet, le chaos engendré par les combats et la circulation des armes de guerre ont fait de la Libye un nid de djihadistes où prospèrent et prolifèrent des groupes militaires de toutes natures et surtout où peuvent s’organiser et s’intensifier avec plus de quiétude des activités de contrebande.
Ainsi, les voisins subsahariens de la Libye comme le Niger et le Tchad, dont la sécurité des frontières était déjà poreuse, vont être confrontés à des défis majeurs. Le Mali ne sera pas en reste. Dans les mois suivant la guerre civile libyenne, le Niger et le Mali voient revenir 2 000 à 4 000 soldats touaregs ayant servi dans l’armée de Kadhafi. Certains rejoignent l’armée malienne mais d’autres contribuent à la formation du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA).
Le nord du Mali fera, dès janvier 2012, l’objet d’un conflit armé : la guerre de l’Azawad. Elle opposera l’armée malienne aux rebelles touaregs du MNLA et au mouvement salafiste Ansar Dine, alliés à d’autres mouvements islamistes.
Face à la progression des rebelles et avec le risque d’effondrement de l’état malien, la France lance l’opération Serval au Mali le 11 janvier 2013, pour enrayer la progression des djihadistes. Elle sera élargie et remplacée en août 2014 par l’opération Barkhane. Barkhane est une opération militaire menée au Sahel et au Sahara par l’Armée française, avec une aide secondaire d’armées alliées, qui vise à lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes dans toute la région du Sahel.
Dans l’intervalle, plusieurs pays subsahariens essuient des attaques coordonnées. C’est le cas de la Côte d’Ivoire qui enregistre le premier attentat terroriste sur son territoire dans la station balnéaire de Grand-Bassam, au sud du pays, le 13 mars 2016 faisant une vingtaine de morts et une trentaine de blessés. Depuis, le nord du pays essuie, de temps à autres, des frappes djihadistes pour le moment contenues.
En 2020 est lancée aux côtés de Barkhane, La Task Force Takuba qui est une force opérationnelle composée principalement d’unités des forces spéciales de plusieurs pays de l’Union européenne. Elle est placée sous commandement français et assiste les forces armées maliennes dans les opérations antiterroristes qu’elles mènent dans le pays.
Mais en dépit de la présence de tous ces dispositifs de sécurité, la menace djihadiste est omniprésente et ne semble pouvoir être enrayée de si tôt en Afrique subsaharienne, notamment au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Tchad et en Mauritanie.
Face à cette situation de quasi-impuissance à enrayer la menace terroriste, certains responsables militaires vont conduire des coups d’état pour proposer une alternative au schéma de gouvernement en vigueur avec d’autres axes de priorité. Ce sera le cas au Mali, au Burkina Faso et en Guinée.
Au Mali, pays frontalier de la Côte d’Ivoire, les divergences de vue et de principes entre la France et les autorités de transition vont conduire à une crise diplomatique profonde entre les deux pays. Le Mali exigera le retrait de son territoire des dispositifs Barkhane et Takuba ; requête à laquelle les Européens donneront suite le 17 février 2022, par l’annonce d’un retrait coordonné du pays. L’essentiel des troupes va se replier dans les pays voisins.
Quelles incidences ce retrait pourrait-il avoir sur la stabilité sous-régionale ? Comment la Côte d’Ivoire aborde-t-elle son avenir sécuritaire dans ce contexte ?
Interrogé sur la question, le chercheur, spécialiste des questions sécuritaires au Burkina Faso, Mahamadou Sawadogo répond : « Le retrait de Barkhane va laisser un boulevard pour les groupes armés. Il faut s’attendre à plus de violences, puisque ça va augmenter la perméabilité des frontières. Et ça fait partie de la stratégie de ces groupes terroristes de se jouer des frontières ». Ce point de vue est partagé par de nombreux observateurs. Pour eux, le vide occasionné par le départ européen pourrait être vite comblé par les groupes terroristes ; le défaut de matériel de renseignement sophistiqué pouvant mettre l’armée malienne aux abois.
Est-ce vrai, toutefois ?
Deux scénarii sont envisageables avec le retrait des Européens. D’une part, il est à remarquer que l’une des raisons de ce départ est la présence de Russes sur le théâtre des opérations malien, soldats réguliers et instructeurs pour les uns, paramilitaires ou mercenaires pour les autres. L’expérience de combat des Russes et la livraison d’armes de pointe pourrait aider à stopper l’avancée djihadiste. Peut-être les derniers venus réussiront-ils ce que les occidentaux ne sont pas parvenus à faire depuis Serval. S’il est vrai que le contingent russe n’est pas célèbre pour sa gestion des droits de l’homme, la décision des autorités maliennes d’essayer des remèdes nouveaux contre les maux visiblement intraitables du pays ne devrait pas être abordée comme une hérésie. Par ailleurs, tout porte à croire, au terme des premiers mois de présence russe, que l’armée malienne maîtrise mieux les opérations sur son territoire.
D’autre part, et tous les subsahariens espèrent que ce ne soit pas le cas, si la nouvelle gestion sécuritaire échoue, le risque de déstabilisation du continent serait énorme. Huitième plus grand pays de l’Afrique avec une superficie de 1 241 238 km2, le Mali est frontalier de la Mauritanie à l’ouest, de l’Algérie au nord-nord-est, du Niger à l’est, du Burkina Faso et de la Côte d’Ivoire au sud-sud-ouest, de la Guinée au sud-ouest et du Sénégal à l’ouest-sud-ouest. Sa position géographique est donc stratégiquement importante.
La Côte d’Ivoire, par exemple, partage 532 kilomètres de frontière avec le Mali. Si le pays sombre dans le chaos, non seulement sa chute précipitera celle du Burkina Faso mais aussi les attaques à ses postes frontaliers directs se multiplieront et les infiltrations dans la population civile conduiront à une situation telle que le pays vivra en état d’urgence pour longtemps.
Mais, ceci est le scénario du pire et pour l’instant, rien ne justifie de l’envisager. La Côte d’Ivoire doit juste renforcer son dispositif sécuritaire aux frontières du nord sans panique.
Auteur : Maxime Yoboi
Retrait de Barkhane et Takuba au Mali : Incidences sur le dispositif sécuritaire ivoirien – pdf