
Bonjour Dr, et merci pour le temps accordé pour cet entretien. Nous allons débuter par les présentations. Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
Je vous remercie de l’opportunité que vous m’offrez de m’exprimer à travers votre think-thank. Mon parcours est le suivant : je suis titulaire d’un Bac série D, mention Assez Bien (1992) ; je me suis inscrit à la première promotion du Tronc Commun d’Abobo-Adjamé (1992-1993) ; j’ai soutenu ma thèse en Médecine le 24 Mars 2004 et ai commencé ma spécialisation en Economie de la Santé au CESAG à Dakar en Novembre 2004 ; j’y avais été admis sous réserve de la soutenance de thèse en Médecine.
De retour au pays en 2005 et vu la difficulté d’intégrer la fonction publique, j’ai obtenu çà et là des contrats de « consultant junior » en Economie de la Santé entre 2005 et 2007 (UNFPA, Merlin, EGPAF…), année où j’ai la chance d’être recruté à la fonction publique, de manière exceptionnelle dans une cohorte de 1400 médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes.
Le métier d’Economiste de la santé n’existant pas officiellement dans la grille de la fonction publique, j’ai exercé en tant que médecin généraliste à l’Hôpital Général de Koumassi de 2007 à 2008.
En Juillet 2008, je rejoins la Cellule de Prospective et de Stratégie (CPS) du Ministère de la Santé en tant que Chargé d’études et j’y travaille jusqu’en Février 2014, après avoir été promu au rang de Sous-Directeur de la Prospective en Octobre 2012. En fait, en 2012, la CPS a été érigée en direction centrale : Direction de la Prospective, de la Planification et des Stratégies (DPPS).
En Mars 2014, je rejoins le département Santé de USAID en Côte d’Ivoire en tant qu’Economiste de la Santé/Spécialiste Santé Publique. Je me lance, 2 ans après, dans la consultance internationale en Economie de la Santé/Politique et Système de Santé/ Financement de la Santé pour l’OMS, le CDC et le Fonds Mondial.
En 2017, je reviens au Ministère de la Santé en tant que Directeur de la DPPS, fonction que j’occupe jusqu’en Décembre 2019. Cette date est importante car elle est le début d’une expérience professionnelle, humaine et culturelle extrêmement enrichissante que je vais vivre en acceptant un poste d’assistant technique international auprès du Ministère de la Santé de la République Centrafricaine.
En Aout 2021, je rentre en Côte d’Ivoire pour intégrer le bureau pays de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d’abord en tant que Consultant en Santé Maternelle et Infantile jusqu’en Juin 2022. Depuis Juillet 2022, je suis, au sein de cette même institution, Consultant en Politiques et Systèmes de Santé et aussi en Financement de la Santé.
Il s’agit donc, en résumé, d’une expérience de 16 ans axée sur les Politiques et Systèmes de Santé, Renforcement des Systèmes de Santé, Financement de la Santé.
A quel moment est-ce que vous décidez de ne plus exercer en milieu hospitalier, mais de vous orienter vers la Santé Publique ? Quelles ont été vos motivations ?
Alors, en fait, mon orientation a été guidée par le fait que je n’ai jamais, à aucun moment, voulu faire des études de Médecine après mon bac ! Je rêvais plutôt d’intégrer l’ESCAE et devenir auditeur mais mon père avait d’autres plans pour moi ! Tout au long de mes études en Médecine, que je ne trouvais pas spécialement intéressantes, je me posais la question suivante : n’existe-t-il pas de carrière professionnelle pour un médecin en dehors du milieu hospitalier ? J’ai eu la réponse à cette question en cours de 6ème année de médecine (1999) lors des modules de Santé Publique et Economie de la santé. C’est à ce moment là que j’ai trouvé ma voie et que j’ai commencé à rechercher les instituts de formation dans ces deux spécialités.
Vous avez occupé des fonctions dans de prestigieuses institutions, de même qu’au ministère de la santé de Côte d’Ivoire. Si vous aviez un bilan à faire, diriez-vous que votre réorientation vous a permis d’avoir plus d’impact sur la santé des populations ?
Oui, absolument !!! La santé publique et l’économie de la santé vous donnent des outils permettant d’analyser et de comprendre les déterminants de la santé c’est-à-dire l’ensemble des facteurs qui influencent l’état de santé de la population, sans nécessairement être des causes directes de problèmes particuliers ou de maladies. Ce que le médecin clinicien ne peut faire ! Ce dernier va traiter la maladie sans nécessairement se poser les questions sur les facteurs explicatifs de la survenue de la maladie.
Envisagez-vous d’enfiler la blouse à nouveau et revenir à la pratique clinique ?
Non, pas du tout ! La pratique médicale est un sacerdoce ; il faut vraiment aimer ce métier avant de s’y engager et le pratiquer ; ce qui n’était pas mon cas ! Je pense avoir eu une meilleure contribution à l’amélioration de la santé de nos concitoyens dans les différentes fonctions que j’ai eu à exercer en dehors du milieu hospitalier.
Actualité oblige, nous allons à présent aborder un élément important du dispositif sanitaire en Côte d’Ivoire : la Gratuité ciblée pour les femmes enceintes et les enfants. Dans une récente sortie, le ministre de la santé a évoqué son application effective, et promet des sanctions en cas de non-respect par les professionnels de santé. Dans le même temps, plusieurs de ces derniers affirment ne pas être en mesure de respecter cette mesure compte tenu des moyens à leur disposition dans leurs centres. Que pensez-vous de cette situation ?
De prime abord, il faut reconnaitre que la mesure ou le principe de gratuité est fondamentalement un acte à saluer. Pratiquement, tous les pays d’Afrique et même au-delà ont décidé de réduire au maximum le paiement direct des frais de santé c’est-à-dire l’obligation pour le citoyen de « payer de sa poche ». Cependant, comme on dit dans notre domaine « quelqu’un doit payer » ; en l’occurrence, l’Etat qui a donc pris la décision de se substituer au citoyen.
Le défi réside donc, pour l’Etat, à pouvoir satisfaire la demande de soins induite (provoquée) par cette mesure donc garantir effectivement la gratuité des prestations, actes et examens nécessaires à partir de la confirmation de la grossesse, pendant la durée de cette grossesse, au cours de l’accouchement et/ou de ses éventuelles complications. Il y a donc une « incidence économique » qui conditionne l’effectivité de la mesure de gratuité.
Plusieurs questions mériteraient d’être posées en vue d’analyser la situation : L’estimation des besoins (nombre de grossesses attendues ou effectives) est-elle faite ? et comment ? les budgets ou investissements requis sont-ils effectifs et mis à disposition des hôpitaux ? Existe-t-il un dispositif de suivi, contrôle et vérification pour réduire au maximum le risque de fraude ?
En l’état actuel des choses, des données existent tendant à conclure à plusieurs dysfonctionnements dans la mise en œuvre de la gratuité ciblée. Malgré les efforts déployés par l’Etat, les financements demeurent insuffisants et/ou mal utilisés d’où des ruptures en kits d’accouchement, kits de césarienne et intrants stratégiques fréquemment observées.
Par ailleurs, cette gratuité était prévue pour « être absorbée » par le dispositif de Couverture Maladie Universelle (conformément à la loi N° 2014-131 du 24 Mars 2014) du fait d’un risque non négligeable de double paiement des prestations réalisées par les établissements sanitaires. A ce jour, cette « fusion » n’est pas encore effective à ma connaissance.
Nous sommes donc dans une situation où une femme pourrait se faire facturer un kit/accouchement même lorsque les intrants sont disponibles ; la facturation peut également intervenir en cas de rupture de kits.
Le personnel soignant est également exposé au mécontentement de la population qui pense, que ce personnel détourne les kits pour alimenter le circuit informel. Il est impératif de préciser que nous disposons, dans l’ensemble, des professionnels de santé consciencieux et de bonne moralité, même s’il en existe qui ne font pas leur le respect du code de déontologie.
Par ailleurs, quel est l’état des lieux de la santé maternelle et infantile en Côte d’Ivoire aujourd’hui ?
Nos indicateurs de santé maternelle et infantile sont en amélioration mais demeurent encore préoccupants et ne sont pas en corrélation les niveaux d’investissement annoncés et les indicateurs macro-économiques du pays. Je vous communique quelques indicateurs calculés par l’Enquête de Démographie et Santé (EDS 2021-2022) portant donc sur la période 2014-2021 :
-
Environ une femme de 15–19 ans sur quatre (23 %) a déjà été enceinte
-
Parmi les femmes de 15–49 ans en union, 21 % utilisaient, au moment de l’enquête, une méthode contraceptive, en majorité une méthode moderne (18 %)
-
La mortalité maternelle estimée est de 385 décès pour 100 000 naissances vivantes entre 2014 et 2021. Ce taux était de 614 entre 2005 et 2012 (EDS 2011-2012).
A titre de comparaison, ces taux sont parmi les plus élevés de la zone CEDEAO. Il y a donc beaucoup à faire dans le domaine.
Source: EDS 2021-2022
Pour ce qui concerne la mortalité des moins de cinq ans, la tendance générale est aussi à la baisse mais il y a lieu d’intensifier les efforts et les investissements dans les Soins de Santé Primaires et la Santé Communautaire.
Un vaste programme de construction d’hôpitaux a aussi été entamé, dans l’optique pour le gouvernement d’améliorer l’offre de soins. Bien que cela soit salutaire, il est aussi fait mention des montants engagés pour réaliser ces projets, jugés coûteux par quelques contradicteurs. Quel regard portez-vous à ce sujet ?
Ce programme de construction d’hôpitaux est à saluer dans le principe ; cependant la mise en œuvre reste à améliorer. Il se pose en fait le défi de la fonctionnalité effective de ces hôpitaux en termes de budgets de fonctionnement (y compris maintenance), de disponibilité effective de ressources humaines, d’équipements, fonctionnalité des blocs de chirurgie et de gynécologie-obstétrique. Il est, par ailleurs, impératif que les dirigeants de ces structures soient recrutés par appels à candidature ouverts et transparents (j’espère que c’est le cas !) ; je voudrais rappeler que la Côte d’Ivoire, conformément aux dispositions de l’UEMOA, a adopté la réforme du budget-programme qui met en avant l’atteinte des résultats par les administrateurs/responsables et la redevabilité dans la gestion des finances publiques. Il est donc important voire capital que l’Etat prenne toutes les dispositions utiles pour que les meilleurs soient aux postes de responsabilité.
La loi sur la réforme hospitalière (N°2019-678 du 23 juillet 2019) n’est pas encore effective ; il me semble que certains décrets restent encore à prendre. Cette loi devrait en principe encadrer et garantir les conditions optimales de fonctionnement des établissements sanitaires.
Autre sujet clé : la Couverture Maladie Universelle actuellement en vigueur en Côte d’Ivoire. Malgré un retard au déploiement, elle est finalement effective. Cependant, ne pensez-vous pas qu’un effort supplémentaire devrait être fait pour la prise en charge des affections de longue durée comme les cancers, l’hypertension artérielle ou encore le diabète dont la prise en charge est particulièrement coûteuse ?
Quand vous dites « effective », je reste perplexe et suis tenté de vous demander des précisions sur le sens donné à ce terme. Certes, beaucoup d’efforts ont été faits mais les données de la CNAM parlent d’elles-mêmes : à peine 12-13% de la population ont effectivement bénéficier d’une couverture maladie. Cela signifie que le panier de soins/prestations retenu pour la CMU n’est pas totalement disponible sur le terrain. Alors, faut-il ajouter à cela les pathologies chroniques ? oui, mais les capacités financières de l’Etat restent le principal élément à évaluer. Par ailleurs, il est impératif d’investir dans la prévention et l’éducation à la santé car toutes ces maladies ont des facteurs connus qui sont évitables. Le système exclusivement curatif a montré ses limites ; il est temps maintenant et pour l’avenir de s’inscrire dans les approches préventives, dans la multisectorialité .
Quel regard portez-vous sur le système de santé ivoirien ? Quel rang occuperait-il, si vous aviez à le classer, à l’échelle sous-régionale ? Africaine ?
Très hospitalo-centré, organisation administrative (organigramme) relativement bonne mais à améliorer sur la base de résultats à atteindre ; fort potentiel de croissance, fragmentation des régimes de financement et inefficience dans le financement (fort taux de déperdition, 51%), paiements directs des ménages encore élevés (38% en 2018), déficits significatifs en matière de gouvernance…
Un rang serait difficile à octroyer néanmoins les niveaux des indicateurs de santé peuvent être comparés avec les autres pays ; pour cela, je recommanderais à vos lecteurs de consulter l’Atlas des statistiques sanitaires africaines 2022 (Atlas des statistiques sanitaires africaines 2022 : analyse de la situation sanitaire de la Région africaine — profils pays (who.int))
Selon vous, quelles sont les urgences du secteur de la santé en Côte d’Ivoire ? Les actions prioritaires sur lesquelles les pouvoirs publics devraient se pencher prochainement ?
Je vais peut-être vous surprendre en disant tout simplement : amélioration de la gouvernance à tous les niveaux :
-
Tous les postes de responsabilité à soumettre à appel à candidature + fiches de postes + détermination de résultats à atteindre
-
Suivi et contrôle budgétaires à tous les niveaux
-
Assainissement des concours d’entrée à l’INFAS+++
-
Respect des volumes théoriques des cours et volumes horaires des stages pratiques
-
Renforcement et investissement dans les Soins de Santé Primaires et la santé communautaire
-
Analyse et utilisation des données/preuves scientifiques pour orienter la prise de décision
-
Décentralisation sanitaire et opérationnalisation des districts sanitaires
Un mot de fin ?
Je remercie sincèrement le DENKYEM Institute pour cette opportunité et je militerais pour des échanges en profondeur en vue d’éveiller les consciences des pouvoirs publics sur les (vrais) défis de notre système de santé.
Je précise que les opinions partagées sont personnelles et ne reflètent en aucun cas les positions de l’OMS en Côte d’Ivoire
Impressionnant comme parcours.
J’apprécie ces expériences composites glanées ça et là tant dans le secteur public que privé. Cela saute très vite aux yeux tant ces analyses sont pointues.
Félicitations Dr Samuel de nous avoir instruit sur le sytème de santé ivoirien. ??
Description très claire et vraie. Je témoigne de la valeur ajouté du passage du Dr Samuel chez moi en Centrafrique au Ministère de la Santé. Très bonne personne ressource. Dans l’espoir d’une éventuelle autre collaboration future.
Merci Dr Bissengue! Que de belles expériences de partage en Centrafrique en effet! J’y reviendrai avec beaucoup de plaisir!
Merci Dr San!Nous sommes en effet riches de ces expériences que nous prenons toujours plaisir à renforcer. C’est aussi en nous nous nourissant de nos expériences mutuelles que ces acquis progressent.
Impressionnant comme parcours.
J’apprécie ces expériences composites glanées ça et là tant dans le secteur public que privé. Cela saute très vite aux yeux tant ces analyses sont pointues.
Félicitations Dr Samuel de nous avoir instruit sur le sytème de santé ivoirien. ??
Interview très enrichissant.
À conserver pour divers travaux de recherche.
À diffuser largement pour orienter les différentes politiques sanitaires.
Merci Dr Expert Ohouo.
DOB
Merci Mr Djabia! Nous avons été forgé dans le même moule!
Une intervention très claire et riche.
Merci beaucoup Samuel.
Nous comptons sur des valeurs comme toi pour le reforcement du système de santé de la Côte d’Ivoire.
Description très claire et vraie. Je témoigne de la valeur ajouté du passage du Dr Samuel chez moi en Centrafrique au Ministère de la Santé. Très bonne personne ressource. Dans l’espoir d’une éventuelle autre collaboration future.
Très belle analyse sur la politique sanitaire de notre pays.
Je pense que cela devra interpeller les décideurs à se pencher sur d’ éventuels « ETATS GENERAUX DE LA SANTE » avec pour objectif premier d’assainir le milieu, de l’extirper de toutes les brebis galeuses qui ne font pas honneur à la corporation et de mettre les personnes qu’il faut aux places qu’elles méritent.
Encore chapeau au Dr OHOUO B. Samuel
Félicitations frère OB pour cette belle analyse d’expert.
Cela montre vraiment la qualité du parcours et l’humilité de l’homme que tu es.
Dr Samuel,
Merci beaucoup pour ces informations sur le systeme de sante ivoirien. Je suis curieux d’en apprendre plus. Courage dans ton travail visant a donner votre contribution a la sante des Ivoiriens.
Impressionnant parcours.
Bonne lecture de la situation sanitaire du pays. Félicitations à Dr OHOUO B Samuel
Je suis vraiment impressionné par ce parcours et encore plus pour cette belle analyse des questions de santé qui se posent à notre population. L’analyse me paraît juste et maîtrisé.
J’ose simplement espérer que cette riche contribution trouvera écho auprès de nos décideurs pour l’amélioration de la santé des ivoiriens.
Je suis vraiment impressionné par ce riche parcours mais en plus par la qualité de l’analyse des problèmes que connaît le système de santé ivoiriens. L’analyse me paraît pertinente et maîtrisé. Il reste à espérer que vos pertinentes propositions trouvent écho auprès de nos décideurs pour un système de santé plus efficace en Côte d’Ivoire. Bravo Docteur
Fier de toi cher ami.
Très beau parcours et très bonnes réflexions.
Pour ce qui est des avancées pragmatiques des systèmes de Santé, notre association est constituée d’experts qui peuvent aider ?