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Résumé

Les villes secondaires ivoiriennes bien que disposant d’un potentiel énorme sont délaissées au profit d’Abidjan, la capitale économique. Cela se traduit par les chiffres démographiques, l’urbanisation et l’activité économique de ces villes relativement faibles comparés à ceux d’Abidjan. Ces villes accusent un important retard du fait de la concentration des activités économiques dans le sud du pays et de la crise militaro-politique de 2002. Il urge de repenser nos villes secondaires et surtout de mettre en application les résultats de ces réflexions. L’urbanisation réussie de ces villes passe par la création de pôles de croissance, l’amélioration de la connectivité entre ces pôles (création et/ou entretien de routes de qualité), la décentralisation effective et la recherche efficiente de financements nécessaires aux équipements et services de base de ces villes.

 

Les villes d’un pays peuvent être considérées comme un portefeuille d’actifs qui se distinguent les uns des autres par notamment leur taille, leur emplacement et la densité de leur population (Banque mondiale 2009). A cela s’ajoute le taux d’urbanisation et l’activité économique de ces villes. Ces critères permettent de classer les villes en plusieurs groupes (primaires, secondaires, tertiaires, …). Les emplois, les fonctions (administrative, commerciale, de service, …), et l’économie sont les critères principaux permettant la distinction entre les villes secondaires et primaires. Les villes secondaires ont peu ou pas de ressources propres et donc une faible maîtrise sur la réalisation autonome de leurs équipements et de leur urbanisme1.

 

En Côte d’ivoire, on parle d’Abidjan d’une part, et d’autre part des villes restantes (secondaires, tertiaires, …). La capitale économique concentre tout. Elle représente 20% de la population du pays (RGPH 2014) et plus de 60% du PIB national (Abidjan.net, 1er avril 2015).

 

Les villes secondaires sont délaissées bien que disposant de nombreuses potentialités. Ces villes jouent uniquement le rôle de connecteurs régionaux. Elles ne génèrent que des activités économiques à l’échelle de leur région et n’assurent que les échanges et/ou transports à l’intérieur de celles-ci.

 

Etat actuel des villes secondaires ivoiriennes

Les villes secondaires ivoiriennes sont peu peuplées par rapport à Abidjan (voir tableau 1). Au niveau de leur apport économique au plan national, la disparité est plus prononcée. Par ailleurs, les crises militaro-politiques qu’ont connues le pays ont renforcé ces disparités (voir image 1). Entre 1999 et 2011, de 89 % à 96 % des entreprises immatriculées étaient situées dans le sud (principalement dans la région du Grand Abidjan). Cette région absorbe également 80 % des emplois formels et est la principale zone d’emploi dans les secteurs tels que les services aux ménages et aux industries, les transports, les télécommunications, le commerce de gros et de détail, l’alimentation et l’agriculture2.

 

Tableau 1: Population des villes de plus de 100 000 habitants, 1975-2014

 

1975

1988

1998

2014

1

Abidjan

951 216

1 929 076

2 877 948

4 395 243

2

Bouaké

175 264

329 850

461 618

542 082

3

Daloa

60 837

121 842

173 107

266 324

4

Korhogo

45 250

109 445

142 039

245 239

5

Yamoussoukro

37 257

106 786

155 803

207 412

6

San-Pédro

31 606

70 611

121 800

174 287

7

Gagnoa

42 285

85 563

107 244

167 900

8

Man

50 288

89 575

116 657

148 171

Source : INS (Institut National de la Statistique) 1975, 1988, 1998 & 20142

 

Il faut noter également que les villes secondaires ne disposent généralement pas d’infrastructures routières suffisantes et/ou de qualité leur permettant de communiquer entre elles, sans passer par Abidjan. D’Abidjan, elles sont connectées via cinq (5) principaux axes à savoir : Abidjan-Yamoussoukro-Bouaké-Korhogo-Ferkessédougou, Abidjan-Aboisso-Noé, Abidjan-Adzopé-Abengourou-Bondoukou, Abidjan-Yamoussoukro-Daloa-Man et Abidjan_Grand-Lahou_Sassandra_San-Pedro_Tabou.

 

Causes

Le délaissement des villes secondaires ivoiriennes provient de la concentration des activités tant politiques qu’économiques à Abidjan. La ville d’Abidjan dispose d’un des ports les plus importants de l’Afrique de l’ouest qui accueille près de 80% du trafic maritime du pays. La majeure partie des entreprises sont installées à Abidjan amplifiant le phénomène de l’exode rural et les flux migratoires des villes secondaires vers la capitale économique de populations à la recherche de meilleures conditions de vie.

 

La crise militaro-politique de 2002 a accentué cette situation. Le pays divisé en deux durant près de dix (10) ans a vu l’essentiel de son activité économique et de son administration réduite à sa partie sud plus précisément à sa capitale économique (90% de l’industrie manufacturière de Côte d’ivoire en 2003 3). Près de 500 000 personnes ont migré vers le sud (OCHA-CI, 11 août 2005).

 

Le pays manque de politique générale d’urbanisme érigeant certaines villes en pôles de développement spécifiques.2&4 Tout est centralisé. Bien qu’un découpage administratif existe, les collectivités locales manquent de capacités financières et techniques pour déployer leur plan d’action pour la plupart du temps mal adapté ou inexistant.

 

La délocalisation de la capitale politique vers Yamoussoukro et la décentralisation de certaines activités vers des pôles régionaux est jusque-là au niveau de l’abstrait. Des actions sont certes menées, mais rien de concret jusqu’à présent.

 

Perspectives

Cette situation constitue un réel frein pour le développement du pays car l’urbanisation, élément primordial dans le développement de tout pays, ne se limite pas à la croissance et à l’extension d’une seule ville.

 

Il faut repenser nos villes secondaires et surtout mettre en application les résultats de ces réflexions. Une politique d’urbanisation diversifiée doit être menée. Pour ce faire, nos autorités doivent élaborer des lois portant sur l’aménagement du territoire adaptées à nos réalités locales. Sur la base de ces lois, un schéma directeur global en adéquation avec nos réalités actuelles devra être réalisé. Ce schéma directeur fixera des pôles de croissance chargés de soutenir le développement des activités économiques à l’échelle nationale. Cette planification ne devra pas se faire au détriment de la ville d’Abidjan.

 

Une fois ces pôles déterminés, des schémas directeurs spécifiques à ceux-ci devront être effectués. Par ailleurs, les villes s’inscrivant dans la bonne marche des pôles devront avoir une planification découlant de ceux-ci.  Cette planification devra comprendre les conditions d’urbanisation, les politiques de répartition des terres urbaines et surtout des stratégies de développement des équipements et des services publics de base.

 

Pour soutenir ce premier plan d’action, il est nécessaire d’assurer la connectivité entre les différents pôles et entre les pôles et leurs villes connexes. Cette connectivité ne peut être assurée que par le renforcement du réseau routier actuel. Elle permettra principalement la communication entre les différents marchés (mains d’œuvre, biens et services) de ces pôles.

 

La décentralisation devra passer du cadre de l’abstrait à la réalité. Elle ne pourra être effective que par un découpage réaliste en alignement avec cet objectif et dans lequel les responsables administratifs disposent d’une fiche de poste claire de leurs postes et compétences.

 

Par ailleurs, la priorité devra être de mise sur la recherche de financements et son utilisation efficiente pour la réalisation d’équipements et de services de base d’une ville. Cette mesure permettra de réduire le phénomène d’exode rural vers la ville d’Abidjan d’une part et les flux migratoires des villes secondaires vers la capitale économique d’autre part. 

 

Auteur : Agnin Krecoumou

Villes secondaires ivoiriennes : quelles perspectives ?– version pdf

6 comments on “Villes secondaires ivoiriennes : quelles perspectives ?

  1. Article Très enrichissant! Et comme l’auteur M. Agnin Krecoumoi l’a si bien exprimé, le développement d’un pays ne se limite pas à celui d’une seule ville. Et l’une des conséquences de ce fait est la création de bidonvilles ci- et là dans les communes d’Abidjan. Vu que toute l’activité économique y est concentrée, tout le monde veut vivre à Abidjan. Vivement que les décideurs prennent leurs responsabilités pour l’avenir du pays

  2. Merci pour l’article M. Agnin Krecoumou. J’aimerai savoir si des plans d’actions issus d’études prospectives pour la croissance de nos villes secondaires existent? Si oui j’aimerai avoir accès aux plus pertinents. Merci !!!

  3. Très bel article riche en chiffres et en illustration. Il n’y manque pas un seul iota.

    Pour renchérir vos propos, les solutions que vous avez proposées dans cet article sont à appliquer par l’État ivoirien, sans modération. Ceci permettra de réduire les inégalités territoriales et surtout de désengorger Abidjan et de sortir  » les villes secondaires » de l’informel.
    J’en veux pour preuve la ville d’Agnibilékrou qui a des potentialités économiques, est totalement dans le secteur informel. Comme Agnibilékrou où j’ai ouvert un cabinet de conseils, de formations et de soutien scolaire, KYAME Conseil & Formation, l’informel bat en effet son plein. Plus de 95% des entreprises y sont dans le secteur informel et l’État perd, par ricochet, énormément d’argent en termes de recettes fiscales.

    C’était ma contribution !

    Gérard KAMBIRÉ

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